Vidéosurveillance, porte ouverte… Devant les députés, le directeur de l’administration pénitentiaire marche sur des œufs



L’audition aura duré près de trois heures. Trois heures pour tenter de comprendre comment Yvan Colonna, « détenu particulièrement surveillé », a pu être victime d’une tentative d’assassinat au sein même de la prison d’Arles. Alors qu’une enquête pénale et une enquête administrative sont ouvertes pour faire la lumière sur ce drame, Laurent Ridel, le directeur de l’administration pénitentiaire, a été longuement entendu par la commission des lois de l’Assemblée ce mercredi matin. Sous le feu des questions, le haut fonctionnaire a admis qu’il pouvait y avoir « une interrogation » autour des circonstances de l’agression du nationaliste corse, sans pour autant évoquer de manquement ou de faute.

Des détenus particulièrement surveillés… mais « pas de surveillance constante »

Retour le 2 mars, jour de l’agression d’Yvan Colonna. Ce jour-là, vers 10h30, le nationaliste est dans l’une des salles de sport, au rez-de-chaussée du bâtiment. Il est enfermé à clé, ainsi que le veut le règlement. C’est le surveillant en charge de mettre en place les activités qui ouvre la porte pour permettre à Franck Elong Abé ​de nettoyer la pièce. Les deux hommes, placés sous le statut de « détenu particulièrement surveillé » ne sont pas des inconnus l’un pour l’autre, ils font notamment du sport ensemble. Les remontées, précise le directeur de l’administration pénitentiaire, font état de « rencontres épisodiques assez régulières où il n’y avait pas d’anicroche ou de conflit ». Il assure n’avoir eu aucun élément faisant état du « blasphème » évoqué par le principal suspect lors de sa garde à vue. Et ce, malgré une surveillance accrue.

Alors que le gardien s’éloigne pour mettre en place la suite des activités, il laisse la porte ouverte. « Normalement, la porte doit être fermée », précise Laurent Ridel, tout en indiquant pouvoir « comprendre » la décision du gardien, ce dernier s’étant probablement dit que le nettoyage ne prendrait que quelques minutes. L’agent pénitentiaire revient « au bout de neuf à dix minutes » pour venir chercher Yvan Colonna. C’est à ce moment-là que Franck Elong Abé lui indique que le détenu corse a fait « un malaise ». Il est en réalité soupçonné de l’avoir roué de coups, avant de lui enfoncer la trachée et de l’étouffer avec un sac plastique pendant près de 8 minutes. « Il peut y avoir une interrogation sur cette séquence et le nombre de minutes », reconnaît le directeur de l’administration pénitentiaire avant d’ajouter : « Je ne peux pas vous garantir qu’il y a une surveillance constante de tous les détenus ». Y a-t-il eu des témoins directs, l’interroge le député corse Jean-Félix Aquaviva ? « Des éléments qui me sont remontés, ce n’est pas le cas. »

Deux caméras dans la salle de sport… mais personne pour regarder les écrans

Quid des caméras de surveillance ? Parmi les 54 installées dans le bâtiment dans lequel s’est déroulé le drame (sur plus de 300 dans toute la prison), deux sont positionnées dans ladite salle de sport. Comment, dès lors, expliquer que l’intervention des gardiens n’ait pas été plus rapide, s’étonnent tour à tour plusieurs députés ? Ce jour-là, détaille le directeur de l’administration pénitentiaire, outre le gardien en charge des activités, deux autres agents surveillent le secteur.

Le premier gère en priorité les mouvements dans le bâtiment tout en ayant un œil sur la cinquantaine de caméras du secteur. « Il est matériellement extrêmement compliqué de faire ce travail et de visionner 54 caméras », reconnaît Laurent Ridel. Dès lors, des « scénarios » sont élaborés par la direction de l’établissement. Comprendre : certaines caméras font l’objet d’une surveillance accrue en fonction des risques supposés de la journée. Et ce jour-là, ce n’est pas tant les activités que les mouvements en détention qui inquiètent. Ce sont donc ces mouvements qui sont scrutés, et non la salle de sport où s’est produit le drame. De même, un poste à la sécurité centrale a accès aux quelque 300 caméras. Mais là encore, impossible physiquement pour une personne de regarder tous les écrans en même temps. Des choix sont donc opérés. Et la zone d’activité du bâtiment A n’en fait pas partie.

Un suspect au parcours chaotique… mais au statut d’auxiliaire

Autre sujet au centre de toutes les interrogations : le « parcours extrêmement chaotique », selon les mots de Laurent Ridel, du principal suspect, qui avait pourtant le statut d’auxiliaire. « Il s’était, semble-t-il, stabilisé », insiste le haut fonctionnaire. Interpellé en 2014 après être parti combattre en Afghanistan, Franck Elong Abé a été condamné à une peine de neuf ans de prison à laquelle s’est ajoutée quatre ans supplémentaires pour la prise d’otage, en détention, d’une infirmière.

Une incarcération marquée par de nombreuses violences, contre les autres mais également contre lui-même : le détenu multiplie les tentatives de suicide, incendie à plusieurs reprises sa cellule. Il est transféré dans plusieurs maisons centrales, parmi les plus sécurisées du pays mais chaque tentative de le sortir d’isolement est un échec. Franck Elong Abé passe d’ailleurs six mois dans ce quartier à son arrivée à Arles en 2019. Pour la première fois, note Laurent Ridel, « son comportement va très nettement se stabiliser, avec quasi-absence d’incident ». Si bien qu’en mars 2020, il intègre un quartier spécifique pour le préparer à une détention classique. Il y restera un peu plus de neuf mois avant de rejoindre, en avril 2021, la voie normale.

Six mois plus tard, en septembre, il demande et obtient son statut d’auxiliaire sport, payé entre « 200 et 300 euros par mois ». Le statut de « détenu particulièrement surveillé », rappelle le directeur de l’administration pénitentiaire, « n’entraîne pas d’interdiction d’activité ou de travail », même si ces éléments entrent en compte pour son obtention. Yvan Colonna avait lui-même depuis de nombreuses années un poste d’auxiliaire de sport sur les terrains extérieurs.

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