Pourquoi cette semaine, avec la venue de Gérald Darmanin, s’annonce décisive en Corse ?

Deux semaines après la violente agression du militant indépendantiste Yvan Colonna par un codétenu, la colère ne faiblit pas en Corse. Dimanche, des milliers de personnes se sont donné rendez-vous à Bastia pour une manifestation qui a tourné à « l’émeute », selon le procureur. Une situation qui a obligé le gouvernement à réagir, en annonçant la venue du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, sur l’île de Beauté mercredi et jeudi.
Le gouvernement, par la voix du locataire de Beauvau, veut profiter de ces deux jours en Corse pour « ouvrir » un « cycle de discussions » avec « l’ensemble des élus et des forces vives » et tenter d’apaiser les tensions. Mais le gouvernement a-t-il vraiment « entendu les demandes des élus de Corse sur l’avenir institutionnel, économique, social ou culturel » de l’île, comme l’a déclaré le ministre dans un communiqué de presse ?
Un geste fort sur la question des prisonniers ?
Alors que le militant indépendantiste, dont l’état de santé est « gravissime », se trouve dans le coma, les responsables nationalistes espèrent toujours obtenir la création d’une commission d’enquête parlementaire pour faire la lumière sur les conditions de l’agression d’Yvan Colonna. La tentative de meurtre, qui aurait duré « 11 à 12 minutes dans une prison centrale, celle d’Arles, qui est, pour ceux qui la connaissent, très sécurisée, (…) pose beaucoup de questions », a déclaré Jean-Félix Acquaviva, député de Haute-Corse (groupe Libertés et territoires) et élu à l’Assemblée de Corse face à la presse lundi. Mais au-delà de l’agression, c’est la question des prisonniers corses sur laquelle les élus demandent des avancées.
Si le gouvernement a finalement accepté de lever le statut de DPS, « détenu particulièrement signalé », d’Yvan Colonna, puis ceux de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, les deux autres membres du « commando Erignac », quelques jours plus tard, comme réclamé par les manifestants, le geste n’a pas suffi à calmer la colère des Corses.
Par la voix de leurs élus locaux, ils réclament maintenant le transfèrement des deux hommes, au nom du rapprochement familial, à la prison de Borgo, sur l’île, ainsi que leur libération. « Il faut arrêter la vengeance d’Etat et appliquer le droit normalement. Il y a un refus obstiné du gouvernement, on est dans une logique d’exception », explique Jean-Félix Acquaviva à 20 Minutes, soulignant « la double peine pour les familles ». « On veut aller vers une libération de Pierre Alessandri et d’Alain Ferrandi, mais également de l’ensemble des prisonniers politiques corses », appelle de son côté Jean-Christophe Angelini, maire de Porto-Vecchio et président du groupe Avanzemu à l’Assemblée de Corse. « Il y a incontestablement une volonté de justice et de vérité, et, plus généralement, d’évolution politique pour nos prisonniers et pour l’île tout entière », ajoute l’élu.
Vers la reconnaissance du peuple corse ?
Parmi les gestes forts réclamés par les élus, et par une grande partie de la population, figure la « reconnaissance du peuple corse », précise Jean-Christophe Angelini. « Ce n’est pas l’autonomie, ce n’est pas l’indépendance qu’on demande, mais c’est plutôt la reconnaissance du peuple corse sur le plan historique, culturel, politique. Un peuple qui aspire à avoir des droits en termes de langue, de succession, d’immobilier, d’économie », poursuit le maire de Porto-Vecchio. Une demande partagée, selon lui, par « l’immense majorité des Corses et même par beaucoup de Français ». « Tous les feux sont au vert, le temps est venu qu’on accède à cet objectif très largement partagé », ajoute-t-il. Selon un sondage Ifop diffusé par le quotidien Corse-Matin dimanche, 53 % des Français sont favorables à l’autonomie de la Corse, et 35 % à son indépendance.
Pour accéder à la reconnaissance du peuple corse, encore faut-il que les élus corses soient pris en considération, regrettent ces derniers. « Nous attendons tous en Corse que la venue de Gérald Darmanin soit un déclic important, un moment de bascule vers une autre politique de l’État. C’est ce qu’ont exprimé les Corses depuis des années, à travers des votes démocratiques clairs et réitérés », poursuit Jean-Félix Acquaviva, qui parle de « déni de démocratie ». « On est conforme au droit, à la démocratie, au suffrage universel. Les planètes sont alignées pour un règlement politique de la question corse », ajoute Jean-Christophe Angelini, qui rappelle que les nationalistes ont remporté les élections territoriales avec 70 % des suffrages.
La crainte d’un « énième rendez-vous manqué »
Mais Gérald Darmanin a prévenu, « aucun dialogue ne peut débuter » sans un préalable « retour au calme ». « Les scènes de la nuit étaient d’une extrême violence » selon Arnaud Viornery, le procureur de Bastia. Une personne interpellée est toujours en garde à vue, a ajouté le magistrat, qui avait dès dimanche dénoncé ces « émeutes ». Une mise en garde que n’a pas plu à Jean-Christophe Angelini : « Aucun dialogue sérieux ne se nourrit de préalable. Le problème n’est pas d’appeler au calme, mais de créer des conditions pour qu’il revienne. Et c’est à l’Etat de créer ces conditions. Il faut se mettre autour de la table, démocratiquement et sereinement ». « On sait que tout ne sera pas obtenu demain, mais il peut y avoir des gestes ou un calendrier. Ce sont des choses qui contribueront à ramener le calme », ajoute le président du groupe Avanzemu.
Ce que craignent les élus, c’est un « énième rendez-vous manqué ». « Il n’y aurait rien de pire que ça, qu’une visite qui n’ait pas de souffle, pas de contenus, pas les bons mots ou pas les bonnes méthodes », met en garde Jean-Félix Acquaviva, qui demande au ministre de prendre « des engagements dignes d’une parole d’Etat ». Pour les deux hommes, sans fortes propositions, la situation risque de s’aggraver un peu plus. « Ce sera décisif. Si le gouvernement n’est pas à la hauteur, avec un discours qui engage la continuité de l’Etat, l’embrasement sera devant nous et pas derrière », prévient le député.