« Moi, je balance pas… » Provocateur et évasif, Salah Abdeslam précipite la fin de son interrogatoire

A la cour d’assises spécialement composée, à Paris,
Jamais, depuis six mois, la cour d’assises spécialement composée n’avait connu pareille tension. Ce mardi, alors que Salah Abdeslam était auditionné depuis près de cinq heures sur les préparatifs des attentats du 13-Novembre, les avocats de la défense ont décidé, comme un seul homme, de ne plus assurer leurs fonctions pour la fin de la journée. « La sérénité de l’audience est irrémédiablement compromise pour aujourd’hui », a lancé l’une des avocates de Salah Abdeslam, Me Olivia Ronen, avant de remballer ses affaires, immédiatement imitée par ses confrères.
Dès les premières questions du président à l’ouverture de l’audience, et alors que se dessine sa ligne de défense, les premières crispations apparaissent. Salah Abdeslam ne nie pas tout en bloc mais choisit méticuleusement les éléments qu’il souhaite apporter à la cour. Ainsi, s’il reconnaît avoir convoyé certains des terroristes, l’accusé affirme qu’il ignorait tout du projet mortifère qui les ramenait en Europe, ou même leur statut de combattant lorsqu’ils se trouvaient en Syrie. Et ce, bien qu’il ait passé vingt-huit heures dans la voiture avec eux – « Ils ne m’ont jamais parlé de leur mission » – et qu’il ait été mandaté par un homme dont il refuse de livrer le nom pour faire ces allers-retours.
« No comment »
A l’en croire, il ne s’agissait que de venir en aide à ses « frères d’islam qui vivaient dans une zone de guerre ». « Je les ai aidés, je ne pouvais pas les abandonner », insiste, droit comme un i dans le box, les bras ballants, Salah Abdeslam. Et de faire la comparaison avec les Ukrainiens qui fuient actuellement la guerre : « Il y a des gens qui vont chercher des gens, d’autres qui veulent faire de l’humanitaire. C’est exactement ça. » Vague d’indignation dans la salle d’audience.
Pourquoi alors, a-t-il emporté de faux papiers d’identité pour lui-même et les hommes qu’il ramène en Belgique, alors que la plupart des terroristes sont ressortissants européens, l’interroge le président ? « No comment. » Qui d’ailleurs lui a fourni ces papiers ? « Je ne répondrai pas à cette question ». Pourquoi a-t-il deux lignes de téléphone ? « Je ne sais pas. » Il refuse même de donner les noms de trois des cinq hommes qu’il admet pourtant avoir convoyé.
« C’est bon, vous accouchez ? »
Dès que les questions se font plus concrètes, abordent précisément des éléments du dossier, Salah Abdeslam élude. « Moi, je ne dis pas de noms, je ne balance pas », assure-t-il, multipliant les provocations envers la cour, le ministère public ou les avocats des parties civiles lorsque ceux-ci insistent. « C’est bon, vous accouchez ? », s’emporte-t-il ainsi contre Me Sylvie Topaloff qui l’interroge longuement sur un point pourtant essentiel : sur les cinq convois qui lui sont reprochés, il n’en reconnaît que deux – ceux pour lesquels il existe des preuves irréfutables de sa présence –, mais nie fermement le rapatriement des membres du commando du 13-Novembre.
Une « indécence insupportable »
Des provocations qui s’ajoutent à l’ambivalence de sa défense : ne pas désavouer ceux qu’il considère comme ses frères d’arme, tout en ne reconnaissant que les faits pour lesquels il existe des éléments matériels. Ainsi, s’il nie avoir ramené en Europe Bilal Hadfi, membre du commando du Stade de France, et Chakib Akrouh, de celui des terrasses, il confie qu’il aurait pu aller les chercher si on lui avait demandé. « Si vous aviez su que ces deux personnes allaient participer de près ou de loin à ces attentats, vous seriez allé les chercher ? », l’interroge l’une des assesseures. Long silence. « C’est une bonne question », lâche Salah Abdeslam. Il réfléchit. « Si ces deux personnes avaient dans la tête de faire des attentats, c’est qu’elles avaient de bonnes raisons […]. Mais dans l’état d’esprit dans lequel j’étais – j’étais un fêtard, je m’amusais, j’allais me marier –, je ne pense pas que je serais allé les chercher. Par peur, peut-être… »
Mis en difficulté, Salah Abdeslam s’emporte, renverse les rôles, se victimise. « Quand je ne parle pas, ça satisfait personne ; et quand je parle, c’est la même chose », souffle l’accusé. A plusieurs reprises, tout au long de l’après-midi, il a reproché à la France d’avoir « bousillé » sa vie, dénonçant notamment ses conditions de détention. Une « indécence insupportable », selon Me Gérard Chemla, avocat des parties civiles.
Vers 17h30, une énième passe d’arme entre le président et l’un des avocats de Salah Abdeslam, Me Martin Vettes, finit d’électriser une salle comble. Alors que ce dernier lui reproche sa gestion de l’audience, le magistrat lui rétorque : « Changez de métier ! » Des applaudissements fournis retentissent. C’en est trop, la suspension d’audience ne calmera pas les esprits. Le procès reprendra demain.