Le droit du sol peut-il être supprimé à Mayotte comme le propose Eric Ciotti ?



En visite à Mayotte, Eric Ciotti a ciblé l’immigration illégale, « un fléau à combattre », a-t-il répété sur Twitter. Il s’est engagé, ce week-end, en cas de victoire de Valérie Pécresse, candidate Les Républicains à l’élection présidentielle, à « faire supprimer le droit du sol » dans le 101e département français.

Sur cette île de l’océan Indien, située dans l’archipel des Comores, « 48 % des 256.500 habitants sont des étrangers dont 95 % des Comoriens », s’est-il indigné dans un discours lors d’une réunion publique à Bandrélé. Une situation qui n’est « plus acceptable », d’après lui.

Lors d’une rencontre le 12 mars avec des habitants, le député des Alpes-Maritimes, dans des propos rapportés par Le Journal de Mayotte, avait assuré prôner « le retour au droit du sang à Mayotte. Non seulement le droit du sol ne doit pas s’appliquer lors d’arrivées irrégulières sur le territoire, mais il faut arrêter de délivrer des visas aux pays qui n’acceptent pas le retour de leurs ressortissants ».

FAKE OFF

Si les chiffres évoqués par Eric Ciotti sont les bons – il se base sur une étude de l’Insee de 2019 –, sa proposition laisse perplexe Pauline Le Liard, chargée de projet à la Cimade Mayotte, association de défense des droits des personnes réfugiées et migrantes. « Ce qui nous étonne, c’est que monsieur Ciotti ne soit pas au courant que le droit du sol n’existe pas en France, explique-t-elle. Le fait de naître à Paris ou à Mamoudzou ne confère pas la nationalité française. »

« Juridiquement, ce que l’on appelle le droit du sol, c’est l’acquisition de la nationalité dès la naissance par le seul fait de naître sur un territoire donné, détaille Jules Lepoutre, professeur de droit public à l’université de Corse et spécialisé en droit de la nationalité et en droit de l’immigration. Très peu d’Etats appliquent ce droit du sol dans cette formule aussi étendue, le principal étant les Etats-Unis. »

La nationalité s’acquiert par la naissance et par la résidence

En France, ce qui est communément appelé droit du sol correspond à une acquisition de la nationalité par la naissance et par la résidence dans le pays. Concrètement, un enfant né en France de parents étrangers peut acquérir la nationalité automatiquement à la majorité s’il a habité pendant cinq ans dans le pays depuis ses 11 ans. Il peut aussi l’acquérir sur demande de ses parents entre 13 et 16 ans ou sur sa demande à partir de 16 ans, si les critères de résidence sont remplis. Il existe aussi le double droit du sol : si un parent né en France donne naissance à un enfant en France, cet enfant sera Français.

« Le droit du sol à la française, qui, au mieux, permet d’obtenir la nationalité treize ans après la naissance de l’enfant, ne peut pas réellement exercer un effet d’attraction sur la migration », estime Jules Lepoutre. « C’est une espèce de fantasme de croire que l’étranger viendrait en France, donnerait naissance à un enfant et acquerrait lui-même un droit au séjour lié à la nationalité de cet enfant, ajoute Marjane Ghaem, avocate en droit des étrangers. Cela n’existe pas. »

« Une très grosse rupture du principe d’égalité »

Le droit du sol à la française a déjà été modifié spécifiquement à Mayotte avec la loi Asile et immigration en 2018. Elle ajoute un frein sur ce territoire : il faut, qu’au moment de la naissance, l’un des parents réside en France de manière régulière et ininterrompue depuis plus de trois mois. « C’est une très grosse rupture du principe d’égalité, souligne Jules Lepoutre. On ne devient pas Français de la même manière selon l’endroit sur le territoire français où l’on naît. »

Supprimer le droit du sol à la française pourrait-il être possible à Mayotte en vertu de cette première brèche ? En 2018, le Conseil constitutionnel avait validé cette modification en se basant sur l’article 73 de la Constitution, qui permet d’adapter une loi en outre-mer en raison de « caractéristiques et contraintes particulières », ici l’immigration irrégulière.

Une question de constitutionnalité

Mais, pour Jules Lepoutre, il faut distinguer droit du sol et conditions d’exercice du droit du sol. En clair, il serait possible d’agir sur la régularité du séjour de parents, l’acquisition automatique ou volontaire de la nationalité à 18 ans ou la possibilité de déclaration anticipée, par exemple. « A priori, le Conseil constitutionnel n’y voit pas d’inconvénient, souligne le professeur de droit public. On peut, dans le détail, faire évoluer les règles. »

Mais supprimer le droit du sol à la française est une question constitutionnelle. « Quand on lit bien la jurisprudence et les débats entre les juges constitutionnels, on trouve un certain nombre d’arguments qui plaident pour considérer que le droit du sol est un principe fondamental reconnu par les lois de la République », commente-t-il, c’est-à-dire un principe « fixé dans les lois républicaines de manière répétée et qui, par cette constance, acquiert une valeur constitutionnelle ».

« Des mesures contre-productives »

« Supprimer cela violerait notre ordre constitutionnel, estime Jules Lepoutre, qui considère qu’une telle proposition ne serait pas validée par le Conseil constitutionnel. L’article 73 ne jouerait plus, car on ne serait plus en train de vouloir adapter la loi, mais de porter atteinte à la constitution. »

De son côté, Pauline Le Liard voit dans cette proposition une surenchère sur le droit du sol. « Cela ne résoudra rien », complète la chargée de projet à la Cimade Mayotte, évoquant aussi le durcissement voulu par le gouvernement, qui souhaite allonger à un an la résidence régulière avant la naissance. « Ce sont des mesures qui sont contre-productives en plus d’être discriminatoires, poursuit-elle. Cela n’empêche pas les gens, établis souvent depuis plusieurs années, d’être sur le territoire. Ça ne va pas changer la circulation historique entre les îles de l’archipel des Comores. Au contraire, cela exacerbe toutes les inégalités et précarise la jeunesse de Mayotte. »

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