De Jadot à Zemmour en passant par Macron… Le « made in France », une stratégie « ringarde » devenue hype
Si, en 2022, t’es candidat à la présidentielle et que t’as pas de propositions pour le made in France, c’est que t’as raté ta campagne. C’est un fait, d’Emmanuel Macron à Yannick Jadot, de Marine Le Pen à Valérie Pécresse en passant par Eric Zemmour, plus aucun prétendant à l’Elysée ne peut passer à côté de ce sujet. La France, pays de l’Union européenne qui s’est le plus désindustrialisé depuis les années 1970 – perte de 2,5 millions d’emplois entre 1974 et 2019, selon l’Insee –, doit faire revivre son secteur secondaire, vanter sa capacité d’innovation, inciter les gens à acheter ses produits et les jeunes à y travailler. Le constat est aujourd’hui unanime chez les politiques de tous bords, comme dans l’opinion publique de manière générale. Ça n’a pas toujours été le cas.
Ringardise et extrême droite
Fabienne Delahaye a constaté cette évolution de près. Cette ancienne étudiante en économie, qui a passé ses études « à entendre que l’industrie ne servait plus à rien et qu’il fallait faire de la finance et du service », a créé le salon Made in France il y a dix ans. Un choix presque osé à l’époque. « S’intéresser au made in France en 2012, c’était prendre le risque de se faire traiter de tous les mots en « -iste », raconte-t-elle. On était taxés, dans le meilleur des cas, de ringards n’ayant compris à la mondialisation et au libre-échange, et, dans le pire des commentaires, on était assimilés à l’extrémisme politique. Les choses ont radicalement changé. »
Lors de la première édition du salon (qui avait regroupé 70 exposants et accueilli 15.000 visiteurs, contre respectivement 830 et plus de 100.000 en novembre dernier), seuls Arnaud Montebourg, qui vient de poser en marinière à la une du Parisien magazine pour illustrer la priorité du nouveau ministère du Redressement productif, et Marine Le Pen se déplacent. Dix ans plus tard, toute personnalité politique qui se respecte se doit d’y être vue, si possible en train d’essayer des espadrilles ou de goûter un petit jus de fruits labellisés bien de chez nous. Un peu comme au Salon de l’Agriculture, l’arrière-train des vaches en moins. Plus de risque, en tout cas, de se voir assimilé au Rassemblement national quand on parle souveraineté économique, patriotisme industriel, protectionnisme ou relocalisations de manière décomplexée.
De plus en plus présent dans les débats lors de la dernière décennie, porté notamment par la lutte contre le réchauffement climatique et une volonté accrue de la population d’acheter français quitte à payer un peu plus cher (74 % des gens se déclaraient prêts à le faire, selon un rapport du ministère de l’Economie publié en 2020), le phénomène a explosé avec le Covid-19. « Il a rendu la vue aux aveugles ou à tous ceux qui n’avaient pas conscience des enjeux, attaque Fabienne Delahaye. On a tous en tête les images de soignants dans des sacs-poubelle car il n’y avait plus de blouses, les batailles sur le tarmac des aéroports pour avoir des masques, ou ce qu’a coûté la pénurie de respirateurs. »
Le grand public s’est rendu compte qu’on ne fabriquait plus sur le territoire national nombre de produits du quotidien, jusqu’aux médicaments. Ainsi, quelque 85 % de principes actifs pour des traitements aussi vitaux que les antibiotiques, les anticancéreux ou les vaccins sont fabriqués en Chine et en Inde. « Nous ne pouvons pas continuer ainsi […], ce serait irresponsable et déraisonnable », avait lancé le ministre de l’Economie Bruno Le Maire en février 2020, au début de la pandémie.
« La pandémie et la guerre constituent un réveil brutal »
La guerre en Ukraine a encore accentué le trait, comme si l’on découvrait que la Russie était le premier fournisseur de gaz (40,4 %), de pétrole (29,8 %) et de combustibles solides (42,4 %) de l’Union européenne, et que cette fragilité économique pouvait se transformer en fragilité politique. Même si on ne peut pas tout produire dans l’Hexagone, il convient de faire attention aux dépendances que l’on consent. « On prend ces crises en pleine face », observe Gilles Attaf, président de l’association Origine France garantie, créée à la fin du mandat de Nicolas Sarkozy par l’ex-secrétaire d’Etat Yves Jego pour « défendre et valoriser les produits de fabrication française ». Le fondateur de la marque de costumes Belleville appuie là où ça fait mal : « On nous a dit pendant trente ans que l’atelier du monde était en Chine, que la France serait un pays tertiaire. On voit où nous a menés cette vision court-termiste. On a voulu aller toujours au moins cher et, aujourd’hui, ça nous coûte très cher. On doit garder un minimum d’outils de production, sinon on perd son indépendance et son autonomie. »
« Comme d’habitude », ajoute Gilles Attaf, il aura fallu être au pied du mur pour s’en rendre compte. « Ce n’est pas une prise de conscience, car cela fait des années que des experts et intellectuels ont ces réflexions, mais ils étaient minoritaires ou peu écoutés, nuance Gil Delannoi, directeur de recherche au Cevipof et auteur, en 2018, de La Nation contre le nationalisme (Presses Universitaires de France). C’est davantage une suite d’électrochocs pour des gens qui n’étaient pas conscients de la dépendance dans laquelle ils s’étaient mis. La pandémie et la guerre constituent un réveil brutal. Il faut attendre un peu pour en connaître les conséquences. Est-ce que ce sera uniquement dans les discours, ou plus profond que ça ? »
Gilles Attaf croit dur comme fer en la seconde option. Vendredi, son association a organisé, comme c’est la grande mode pour cette présidentielle, un grand oral où tous les candidats étaient invités à livrer leurs propositions pour relancer le secteur. Trois étaient là en personne – Yannick Jadot, Jean Lassalle, Nicolas Dupont-Aignan –, les autres se sont fait représenter. Quoi qu’il en soit, toutes et tous – même ceux dont le parti a gouverné – ont tapé comme des sourds sur ce qui a été fait « depuis trente ans » et qui nous a menés là où nous en sommes : à la cave, avec une balance commerciale déficitaire de 84,7 milliards d’euros en 2021, nos impôts qui – parole de candidats – assomment les entreprises, et des carences dans les secteurs de l’agro-alimentaire, du textile, des médicaments, de l’acier, de l’aluminium… Bref à peu près tout.
Chacun a ses idées pour en finir avec ce marasme. En vrac : un fonds d’investissement stratégique à l’échelle des régions pour investir dans les entreprises qui valorisent le territoire pour Yannick Jadot ; une taxe anti-kilométrique et la création d’une agence pour la relocalisation pour Jean-Luc Mélenchon ; des baisses d’impôts sur la production pour Eric Zemmour et Valérie Pécresse ; un ticket paysan qui permettrait d’acheter certains produits pour Jean Lassalle ; un effort majeur dans le domaine de la recherche pour Anne Hidalgo ; l’interdiction des produits issus de pays qui ne répondent pas à certaines normes sociales et écologiques pour Marine Le Pen. Agnès Pannier-Runacher, pour le président sortant, a quant à elle rappelé tout ce qui a été mis en oeuvre pendant le quinquennat pour « mettre un terme à la capitulation industrielle » française. « Réindsutrialiser n’est ni facile ni rapide. On est au milieu du gué », a exposé la ministre chargée de l’Industrie.
A cette liste d’idées, non exhaustive, il faut ajouter deux points qui font consensus : flécher davantage la commande publique vers les entreprises françaises et étudier la possibilité d’une TVA (très) réduite sur les produits certifiés « origine France ». Deux leviers attractifs, mais pour lesquels il faudra composer avec les règles européennes. Une limite qui a valu cette réplique de l’insoumis Adrien Quatennens : « Il faut assumer un protectionnisme sanitaire et écologique en contradiction avec certains traités de libre-échange. On prône la désobéissance au cas par cas. »
Dernier point qui mérite d’être développé : tout ce qui a trait à la revitalisation de l’emploi industriel. Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut travailler sur la formation des jeunes pour les connecter aux métiers qui recrutent et ainsi élargir le vivier dans lequel les entreprises pourront piocher. Mais pour ça, encore faut-il qu’ils soient attirés par ces professions. Il y a un gros boulot de communication à effectuer « pour faire découvrir l’industrie aux familles et à leurs enfants », résume Hervé Morin, porte-parole de Valérie Pécresse lors de ces « Assises du produire en France ».
A quand les « Journées du patrimoine industriel » ? Peut-être un peu too much, mais pourquoi pas, après tout. « C’est un peu pompeux, comme expression, mais moi j’affirme que c’est une bataille culturelle qui se joue en ce moment, assène Gilles Attaf. On doit se rendre compte que l’usine n’est pas un gros mot mais un endroit où on peut aussi s’épanouir. Nous, on prône « l’usine nation ». » Pas besoin d’expliquer la référence.