A quoi « l’autonomie » de la Corse évoquée par Darmanin pourrait-elle ressembler ?



Les deux semaines de manifestations en Corse ont-elles permis d’accélérer le chantier du statut de l’île de Beauté et la perspective d’une éventuelle autonomie, comme le réclament les élus depuis plusieurs années ? C’est en tout cas la direction qu’ont prise les discussions entre les élus corses et le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, arrivé ce mercredi midi à Ajaccio. Avant même son arrivée, le ministre a pris les devants dans une interview accordée à Corse Matin, en déclarant que le gouvernement était « prêt à aller jusqu’à l’autonomie » en Corse. Mais l’île ayant déjà un statut particulier, les contours d’une éventuelle réforme doivent encore être précisés.

Décentralisation versus autonomie

Si la Corse n’est pas encore autonome, son organisation ne ressemble pas tout à fait à celle des autres régions françaises. Depuis le 1er janvier 2018, et en vertu de la loi NOTRe de 2015, l’île de Beauté est devenue une « collectivité à statut particulier » – et non plus une région composée de deux départements –, appelée « collectivité de Corse ». Une entité composée de l’Assemblée de Corse (pouvoir législatif) et du Conseil exécutif, dont le président autonomiste, Gilles Simeoni, dirige les discussions avec le gouvernement. Et si Gérald Darmanin a utilisé le mot « autonomie », ce n’est pas pour rien. Car ce statut est bien différent de l’indépendance, qui supposerait que la Corse n’ait plus aucun lien avec Paris.

Dans le projet d’autonomie porté par Gilles Simeoni, « les compétences régaliennes » – c’est-à-dire la police, la justice, la défense et la monnaie – resteraient « du domaine de l’État », tandis que certaines compétences seraient transférées « de plein droit à la collectivité de Corse, qui va exercer un véritable pouvoir normatif, de nature législative », a-t-il détaillé sur France Info ce mercredi matin, citant « la fiscalité », « la politique de lutte contre la spéculation foncière » ou encore « certaines politiques de développement économique ». Pour Thierry Dominici, politologue et enseignant en sciences politiques à l’université de Bordeaux, il s’agit plus de décentralisation que d’autonomie réelle : « On peut parler d’autonomie administrative, c’est-à-dire de donner plus de compétences aux institutions locales ».

L’exemple de la Polynésie française

Selon Jean-Christophe Angelini, maire de Porto-Vecchio et président du groupe Avanzemu à l’Assemblée de Corse, « l’autonomie, c’est d’abord pour agir sur les leviers du quotidien », explique-t-il, estimant que l’économie, la fiscalité, la santé et l’éducation sont des sujets prioritaires. Et l’élu de citer plusieurs exemples, notamment les budgets en matière de santé publique : « Ils sont attribués par région en fonction d’un coefficient géographique. La Corse est petite, mais elle à des spécificités. C’est une île montagneuse, avec notamment des difficultés d’accès aux soins. L’autonomie permettrait de contourner ce coefficient et d’allouer un budget qui soit conforme à la réalité du territoire. » Autre exemple, celui de la fiscalité et de l’économie. L’élu plaide pour la territorialisation de certains impôts, comme celui sur les sociétés ou la TVA. « L’impôt sur les sociétés en Corse, c’est un peu plus de 1 milliard d’euros par an, soit l’équivalent du budget de la collectivité de Corse. En instaurant l’autonomie, une partie de l’argent resterait dans nos caisses. On veut que les flux que génère notre économie restent, pour partie, sur l’île », ajoute Jean-Christophe Angelini.

Si les élus corses semblent déjà avoir dessiné les pourtours d’un éventuel statut d’autonomie, ce sera à l’Etat de trancher. Selon plusieurs spécialistes, le nouveau statut pourrait ressembler à celui de la Polynésie française, comme l’a notamment suggéré Gérald Darmanin : « Ça peut être une autonomie à l’intérieur même de notre Constitution actuelle. La Polynésie française a un statut d’autonomie qui lui permet évidemment d’être totalement dans la République et d’avoir une spécificité particulière, notamment pour tout ce qui est économique et social », a déclaré Gérald Darmanin à nos confrères de Corse-Matin. « Le statut de la Polynésie donne un statut d’application aux élus, c’est-à-dire la liberté d’appliquer la loi nationale sur l’île », détaille Thierry Dominici.

Vers une révision de la constitution ?

Mais c’est là que ça se complique. La Polynésie – ainsi que Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, Saint-Barthélemy et Saint-Martin – relève de l’article 74 de la Constitution, qui détaille le statut des collectivités d’outre-mer. Or, « la Corse n’est pas une collectivité d’outre mer. Sauf en le révisant, ça me paraît difficile de rattacher la Corse à cet article », décrypte Michel Lascombe, professeur agrégé en droit public et spécialiste de droit constitutionnel. L’autre solution, selon le spécialiste, c’est de faire, « comme le prévoit l’article 72 de la Constitution, une collectivité à statut particulier ». « C’est déjà le cas pour la Corse, donc ça veut dire qu’il faudrait modifier ce statut particulier », ajoute le professeur, qui estime toutefois « qu’un statut particulier n’est pas véritablement une autonomie ».

Pour Christophe Mondou, maître de conférences en droit des collectivités territoriales, droit public et droit administratif, la Corse pourrait compter sur la loi dite « 3DS » (pour « différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification »), tout juste adoptée en février dernier : « Cette loi permet de modifier l’attribution des compétences dans une catégorie de collectivités. Ça veut dire qu’on peut aller plus loin », analyse l’enseignant.

Car la question traîne. En 2017, déjà, Emmanuel Macron avait promis de créer un article « sur mesure » pour la Corse dans la Constitution. Mais la réforme des institutions, qui devait entériner le statut particulier de l’île de Beauté, avait été reportée en raison de l’affaire Benalla. « Mais la proposition d’Emmanuel Macron, qui voulait donner à la Corse les mêmes pouvoirs qu’aux départements des Outre-mer, n’avait pas satisfait les nationalistes », rappelle André Fazi, politologue et maître de conférences en science politique à l’Université de Corse. « L’autonomie, c’est toujours relatif. En Polynésie, le spectre de compétences est beaucoup plus large que celui de Saint-Martin et de Saint Barthélemy », souligne le spécialiste. « La prochaine question, c’est donc : « De quel degré d’autonomie parle-t-on ? » »

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